Écrit par Paul Cudenec, 10 juillet 2018 pour winter oak

De : Le fascisme renommé : exposer la grande réinitialisation

“Nous avons compris que le détachement de l’homme de la Nature, de la Vie-Totalité, conduit à son anéantissement… Ce n’est plus l’homme seul qui se trouve au centre de la pensée, mais la Vie-Totalité, telle qu’elle se révèle dans tous les êtres vivants sur terre”.

À première vue, cette déclaration semble plutôt bonne. C’est le genre de chose que nous envoyons sur nos tweets “Citation du jour” du Chêne d’hiver.

Mais dans ce cas, nous ne le ferons pas. Pourquoi ? Parce qu’elle provient d’un livre de 1934 intitulé Biological Will : Means and Goals of Biological Work in the New Reich (Volonté biologique : moyens et buts du travail biologique dans le Nouveau Reich) par Ernst Lehmann, un biologiste nazi de premier plan. 1

D’autres sont pris beaucoup plus au sérieux lorsqu’ils préviennent qu’une philosophie politique radicale trop axée sur la nature risque inévitablement de nous entraîner dans les bas-fonds d’une idéologie proto-fasciste.

La similitude occasionnelle de vocabulaire ou de rhétorique entre la pensée éco-anarchiste radicale et un certain courant de l’idéologie nazie a longtemps fourni une source de munitions aux ennemis de la pensée verte radicale.

Parfois, ces attaques se résument à un peu plus que de la propagande de droite risible, comme avec un article de 20182 sur le site Encounter Books se concentrant sur les “racines totalitaires” du mouvement vert dans son ensemble et, en particulier, de l’énergie éolienne.

D’autres sont pris beaucoup plus au sérieux lorsqu’ils préviennent qu’une philosophie politique radicale trop axée sur la nature risque inévitablement de nous entraîner dans les bas-fonds d’une idéologie proto-fasciste.

Si Murray Bookchin a sans doute eu raison de prendre à partie certains éléments du mouvement américain de l’écologie profonde qui ne reconnaissaient pas pleinement les racines sociales des problèmes écologiques, la rhétorique qu’il a déployée, condamnant ce qu’il considérait comme un “écofascisme”, n’a finalement fait qu’accroître la contamination nazie perçue de la pensée verte radicale en général.

Ses collègues écologistes sociaux Janet Biehl et Peter Staudenmaier ont poursuivi son approche avec beaucoup d’enthousiasme. Dans Ecofascism : Lessons from the German Experience, ils écrivent : “La “religion de la nature” nationale-socialiste, comme l’a décrite un historien, était un mélange explosif de mysticisme teutonique de la nature primitive, d’écologie pseudo-scientifique, d’anti-humanisme irrationnel et d’une mythologie du salut racial par le retour à la terre. Ses thèmes prédominants étaient “l’ordre naturel”, l’holisme organiciste et le dénigrement de l’humanité : Ces arguments sont d’une actualité effrayante dans le discours écologique contemporain”. 3

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Plus récemment, Alexander Reid Ross, ancien rédacteur en chef du Earth First ! Journal, a identifié certaines parties du réseau EF !, ainsi que les anarchistes et les gauchistes en général, comme étant affectés par ce qu’il appelle la “dérive fasciste” idéologique. 4

Les exemples ne manquent pas, sans compter les tentatives réelles de certaines sections de l’extrême droite de détourner les positions et le langage environnementaux à leurs propres fins.5

Tout cela n’a bien sûr pas été sans incidence sur la réflexion du mouvement environnemental au sens large.

Sensible à la comparaison avec les politiques nazies, le parti vert allemand a longtemps fait tout son possible pour souligner sa rupture avec ce passé.

Par exemple, dans une interview accordée en 1987 au journal d’Oxford Green Line, le représentant du parti Jakob von Uexküll, petit-fils et homonyme d’un biologiste comportemental archi-conservateur, a déclaré que les Verts en Allemagne avaient pris la décision consciente de chercher des alliés dans les groupes minoritaires parce que des critiques avaient fait remarquer que les déclarations écologistes et holistiques avaient historiquement été faites par les gouvernements nazis et fascistes. 6

Si le fait de forger des alliances avec des groupes minoritaires est en soi une démarche positive, le problème réside dans le fait que les écologistes ayant une critique sociale trouvent plus sûr de plaquer leur environnementalisme sur un ensemble déjà existant de pensée de gauche plutôt que de le puiser dans ce qui est considéré comme une tradition verte entièrement discréditée.

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L’historienne Anna Bramwell écrivait déjà en 1994 que, depuis la Seconde Guerre mondiale, “tout discours sur l’holisme, ou sur un amour de la nature qui tire certaines valeurs de la nature ou s’efforce d’adapter l’humanité à ces valeurs, était suspect”7 – et les choses ne se sont certainement pas améliorées depuis.

Nous pouvons nous-mêmes en témoigner. Un article publié en 2017 par Winter Oak, Envisioning a Post-Western World, proposant une sortie des modes de vie et de pensée capitalistes industriels, n’a été reposté par le site américain radical antidote zine qu’après de nombreuses discussions et avec un avertissement selon lequel certains des arguments que nous avons avancés étaient “sur le fil du rasoir”. 8

Le couteau en question s’est avéré être celui brandi de manière spectaculaire par Reid Ross, qui semble avoir réussi à intimider une grande partie du mouvement anticapitaliste aux États-Unis, même si certains sont encore assez courageux pour publier des idées “suspectes” malgré ses efforts.

Mais quelle est la vérité derrière cette diffamation “nazie” contre l’idéologie vert profond biologique ? Est-elle justifiée ? Doit-elle influencer la manière dont nous formulons collectivement notre propre vision du monde ? Si oui, de quelle manière ?

Pour aller au fond des choses, nous allons ici poser les questions suivantes et y répondre :

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  • Quelles ont été les origines de cette pensée organique ?
  • Dans quelle mesure cette pensée faisait-elle partie de la théorie et de la pratique nazies ?
  • Y a-t-il d’autres manifestations possibles de l’idéologie organique ?
  • Quelle idéologie politique s’accorde le mieux avec une approche biologique ?
  • Le radicalisme biologique est-il la seule cible du dénigrement nazi contemporain ?
  • Quelle est la relation entre l’anticapitalisme et l’antisémitisme ?
  • Alors, en conclusion, de quoi s’agit-il ?
  • Pourquoi cette question nous tient-elle tant à cœur ?
  • Que voudrions-nous voir se produire ensuite ?

1. Quelles ont été les origines de cette pensée organique ?

Par pensée organique, nous entendons une vision qui considère les sociétés humaines, ainsi que l’environnement, comme étant essentiellement vivants et constitués d’innombrables interactions et collectivités subtiles qui ne peuvent jamais être entièrement décrites en raison de leur riche complexité.

Elle considère les êtres humains comme une extension de la nature. Il s’agit d’une approche holistique, car elle comprend que tout est lié, tout est finalement un.

Une vision du monde holistique et fondée sur la nature a été le point de départ de toutes les cultures humaines et inspire les spiritualités indigènes d’Amérique du Nord et du Sud, d’Australie et d’Afrique, et même d’Europe.

C’est la première pierre sur laquelle a été construite la métaphysique de Chuang Tsu, Plotin et Paracelse. Elle reste une vision du monde largement partagée, instinctive, de “bon sens”, qui n’a jamais été complètement effacée de l’esprit humain.

L’avènement de la révolution industrielle a déclenché une réaction, dans laquelle certaines personnes ont activement recherché et revitalisé ces vieilles idées. Il ne s’agissait pas tant d’un mouvement intellectuel que d’une réponse instinctive à un danger culturel, social et environnemental.

Comme l’écrit Vivianne Crowley : “À partir de la fin du XVIIIe siècle, l’industrialisation rapide et le viol des paysages et des ressources naturelles de l’Europe ont donné à de nombreuses personnes le sentiment que le temps n’était plus à la fête, que le bon sens était sacrifié au progrès matériel avec des résultats potentiellement désastreux”. 9

Une vision du monde holistique et fondée sur la nature a été le point de départ de toutes les cultures humaines et inspire les spiritualités indigènes d’Amérique du Nord et du Sud, d’Australie et d’Afrique, et même d’Europe.

La pensée organique sur laquelle nous nous concentrons ici est cette version, celle qui a émergé en réaction au traumatisme de l’industrialisation, de la dérive de la civilisation occidentale qui s’est éloignée de cette sagesse originelle pour se tourner vers les philosophies froides et mécaniques de l’ère moderne.

En un sens, on pourrait l’appeler la Pensée organique II, car elle comprenait une défense consciente de la Pensée organique I face aux dogmes stériles de la modernité capitaliste.

Partout où l’industrialisation a eu lieu, des courants de pensée anti-industriels ont émergé.

Le monde anglophone a connu des personnalités comme William Blake (1757-1827), William Wordsworth (1770-1850), Henry David Thoreau (1817-1862), John Ruskin (1819-1900), William Morris (1834-1896) et Richard Jefferies (1848-1887).

William Morris
William Morris

Morris a parlé au nom de beaucoup d’autres lorsqu’il a admis en 1894, deux ans avant sa mort : “En dehors du désir de produire de belles choses, la principale passion de ma vie a été et reste la haine de la civilisation moderne”. 10

La France avait sa propre tradition, qui allait de l’anti-industrialisme du philosophe du XVIIIe siècle Jean-Jacques Rousseau (1712-1778) à l’antiproductivisme du XXe siècle de Jacques Ellul (1912-1994) et Bernard Charbonneau (1910-1996), en passant par la puissante critique de la modernité exprimée par George Bernanos (1888-1948), qui déclarait : “La civilisation des machines est la civilisation de la quantité opposée à celle de la qualité”. 11

L’Europe germanophone possédait une conception particulièrement forte de la Naturphilosophie, entrelacée avec le romantisme, qui pouvait s’appuyer sur la sagesse de Johann Wolfgang von Goethe (17491832), Novalis (1772-1801), Friedrich Hölderlin (1775-1854) et Friedrich Wilhelm Joseph Schelling (1775-1854).

Dans son livre Reenchanted Science : Holism in German Culture from Wilhelm II to Hitler, Anne Harrington retrace l’évolution d’un des fils de cette pensée à partir des scientifiques du XIXe siècle qui ont développé des approches holistiques dans leurs domaines spécifiques, puis, en bons holistes, ont compris qu’il existait aussi une image plus large.

“De Berlin à Prague, de Vienne à Zurich, ces scientifiques ont commencé à mêler leurs voix à celles d’autres types de critiques culturels, de réformateurs en puissance et de faiseurs de crise. Ces autres voix extérieures aux sciences utilisaient aussi généralement l’image opposée de la machine et de l’intégrité pour exprimer ce qui, selon elles, avait mal tourné dans la politique, la communauté et l’existence individuelle, et pour identifier les voies du renouveau. Cette imagerie avait à son tour des liens énergétiques avec d’autres oppositions politiques et sociétales de l’époque, qui se chevauchaient : Gemeinschaft (communauté) contre Gesellschaft (société), une opposition rendue célèbre par le sociologue du XIXe siècle Ferdinand Tönnies ; Kultur (allemand) contre Zivilisation (français) ; Life and Soul contre Mind and Reason, une confrontation associée à des “philosophes de la vie” tels que Ludwig Klages”. 12

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Le point de départ de la Pensée organique II était l’opposition à la Machine et à tous les dommages qu’elle causait à la culture et au bien-être humains, ainsi qu’au monde naturel.

La Machine, qui a donné naissance aux affreux fours à coke et aux usines sidérurgiques de la vallée de la Ruhr, a alimenté le militarisme d’Otto von Bismarck, chancelier de l’Empire allemand entre 1871 et 1890.

Il y a eu un processus d’industrialisation extraordinairement rapide à la fin du XIXe siècle qui, note Harrington, a laissé à beaucoup un sentiment de “déracinement et de révolte esthétique”.13

La Machine a également pénétré dans la tête des gens, brisant les anciennes façons de penser et remodelant les esprits en fonction des exigences de la nouvelle civilisation industrielle.

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Ressources humaines

Une fragmentation de la compréhension a été identifiée par les critiques de l’âge moderne. À l’instar des communautés de vie remplacées par des dortoirs urbains pour les esclaves salariés des usines, tout semblait brisé et déchiré.

Dans les sciences, la recherche est de plus en plus spécialisée et étroite, orientée vers un pragmatisme utilitaire plutôt que vers une quête de connaissances.

La réussite des individus ou des nations était jugée en termes de richesse matérielle, de productivité, plutôt qu’en termes d’intégrité intérieure ou de bonheur.

Le sentiment d’appartenance à la terre, au passé, à un continuum, a été effacé par les exigences brutales du soi-disant progrès.

Le sens du moi de l’individu est balayé par la vitesse et la fureur dépersonnalisées de la vie à vapeur et, en même temps, tout sentiment d’appartenance à l’humanité dans son ensemble est nié par la ferveur nationaliste de la rivalité industrielle et impériale avec les autres Européens et le mépris officiellement encouragé des peuples “inférieurs” et “arriérés” du monde non industrialisé.

Le royaume des bureaux, des usines, des journaux et des trains a contraint les gens à un état d’existence où ils semblaient n’exister que dans leur propre tête, à la surface de l’être, et étaient aussi coupés de leur propre corps, de leur propre réalité physique, que du monde naturel dont ils avaient été séparés pour la première fois en un million d’années d’histoire humaine.

Organic Thinking II a cherché à contrer cette fragmentation, cette séparation, à tous les niveaux, et à rétablir un sentiment de globalité interconnectée.

Le corps et l’âme ne sont pas considérés comme séparés, mais comme deux aspects d’une seule et même entité. Il en va de même pour les individus et la société – non pas la société industrielle-capitaliste, bien sûr, mais la société naturelle et organique présentée comme une alternative saine.

Les groupes collectifs de personnes étaient décrits comme des organismes vivants, faisant eux-mêmes partie d’organismes vivants encore plus grands. L’humanité elle-même était une entité vivante et faisait partie du monde naturel vivant.

Rien de tout cela n’était nouveau. Tout cela était déjà connu de la Pensée organique I. Mais la différence ici était que la nouvelle adhésion à cet holisme était aussi un appel proactif à la réalisation et au retour de cet holisme.

Organic Thinking II était une demande de changement, de renversement de la société industrielle superficielle, fragmentée, déshumanisante et destructrice de la nature, et de redécouverte de l’authenticité, de la communauté, de l’appartenance et de la plénitude.

2. Dans quelle mesure cette réflexion faisait-elle partie de la théorie et de la pratique nazies ?

Il ne fait aucun doute que la rhétorique et l’idéologie nazies ont été en partie façonnées par la pensée organique qui était un contre-courant si influent en Europe germanophone au début du XXe siècle.

Les nazis se sont présentés comme ayant pour mission de remettre les choses en ordre, de provoquer une “grande révolution des valeurs”, de rétablir des attitudes saines envers la nature.

nazis nature

Le langage nazi reflétait l’idée que la vie humaine était, et devait être, entrelacée avec la nature. Nina Lyon note : “Toutes sortes de longs noms composés abstraits de cet idéal ont prospéré : Erdebundenkeit, le lien ou l’unité avec la terre ; Volksboden, le lien du peuple avec le sol ; Bodenständigkeit, ou la nature par laquelle la vie était façonnée par les forces terrestres”. 14

Le professeur nazi Friedrich Sander a désigné “l’aspiration à la plénitude” comme l’un des deux motifs fondamentaux du mouvement. Il a ajouté : “La psychologie allemande actuelle et la vision du monde national-socialiste sont toutes deux orientées vers le même but : la victoire sur les formes de pensée atomistes et mécanistes : victoire par la pensée organique, dans la structure de la vie völkisch ici, dans la recherche de la réalité psychologique là”. 15

Lehmann, cité au début de cet article, a écrit un livre, Biologie dans la vie actuelle, qui comprend des chapitres sur “l’intégralité individuelle”, “l’intégralité transindividuelle”, “le cosmos de la vie” et “l’intégralité völkische“.

Il affirmait : “Cette recherche d’un lien avec toute la vie, voire avec la nature en général dans laquelle nous sommes nés – voilà, pour autant que je puisse le voir, le but le plus profond et la véritable essence de la pensée national-socialiste”. 16

Cette tendance holistique a même atteint un niveau pratique. Les nazis encourageaient une alimentation saine et le pain complet. Ils étaient favorables à l’homéopathie, à l’herboristerie et aux autres thérapies naturelles. Il y avait une plantation d’herbes aromatiques au camp de concentration de Dachau.

Dachau
Dachau

C’est la note discordante de cette dernière phrase qui nous rappelle que quelque chose n’allait pas dans l’histoire d’amour des nazis avec l’idéal biologique.

En fait, plus on y regarde de près, plus il apparaît que la version nazie de la pensée organique constituait une distorsion si grave qu’elle la rendait philosophiquement méconnaissable. Ils utilisaient la pensée holistique et organique simplement comme “un fonds de métaphores”17 avec lequel ils pouvaient présenter et justifier leur propre idéologie totalitaire.

Adolf Hitler lui-même, par exemple, a écrit dans Mein Kampf que pour remplacer le “mécanisme mort” de l’État libéral “il faut former un organisme vivant ayant pour but exclusif de servir une idée supérieure”. 18

Il est manifestement absurde de parler de “formation” d’un organisme vivant, comme le comprendrait immédiatement tout véritable adepte de la pensée organique. Un organisme vivant peut être libéré de certaines contraintes, ou même réanimé, mais pas formé par les mécanismes de la volonté politique.

L’obsession nazie de l’ordre imposé d’en haut, de la domination absolue de l’État central, est à l’opposé d’une vision authentiquement organique.

Hitler parle en fait de l’État nazi – contrôlé de manière centralisée et impitoyablement hiérarchisé – auquel il tente de donner une aura d’authenticité naturelle en le décrivant comme un organisme dans le langage populaire de l’époque.

Lui – et ses disciples – ont complètement sapé la distinction de Tönnies entre la communauté organique, ascendante (Gemeinschaft) et la société moderne artificielle, descendante (Gesellschaft) en prétendant que la Gesellschaft nazie était en réalité une sorte de Gemeinschaft. L’État et le Führer représentaient en quelque sorte par magie la volonté authentique du peuple allemand.

Cette notion de l’État en tant qu’organisme avait déjà été développée par l’aile droite du mouvement organique, mais dans le dogme nazi, elle a pris de toutes nouvelles proportions, car l’idée d’un pouvoir total reposant entre les mains de l’État était si centrale dans leur idéologie.

Zeev Sternhell remarque : “Le totalitarisme est l’essence même du fascisme, et le fascisme est sans conteste l’exemple le plus pur d’une idéologie totalitaire. Ayant pour objectif de créer une nouvelle civilisation, un nouveau type d’être humain et un mode de vie totalement nouveau, le fascisme ne pouvait concevoir qu’aucune sphère de l’activité humaine ne soit à l’abri d’une intervention de l’État”.19

L’obsession nazie de l’ordre imposé d’en haut, de la domination absolue de l’État central, est à l’opposé d’une vision authentiquement organique.

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Rudolf Rocker

Comme l’écrivait l’anarcho-syndicaliste Rudolf Rocker : “La dictature est la négation du développement organique, de la construction naturelle du bas vers le haut”. 20

Une autre corruption du principe organique est venue de ce que Harrington décrit comme “la ‘racialisation’ de la lutte du holisme contre le mécanisme”. 21

La génération de droite précédant les nazis, inspirée par Houston Stewart Chamberlain et d’autres, avait déjà formulé le concept de “race”, qui divisait l’humanité en groupes distincts – à l’instar des tableaux scientifiques et des classifications hiérarchiques des minéraux, des végétaux et des animaux qui avaient la faveur de l’époque.

Ces théoriciens de la race, tant en France qu’en Allemagne, ont repris l’idée philosophique de la Gestalt, de la forme sous-jacente, et l’ont déformée pour justifier une typologie raciale rigide. Cela a ensuite alimenté une définition raciale de l’organisme social qui excluait ceux qu’ils désapprouvaient.

Sternhell explique ainsi leur argumentation : “La nation est un organisme vivant, et le nationalisme est donc une éthique, comprenant tous les critères de comportement que l’intérêt commun appelle, et sur lesquels la volonté de l’individu n’a aucune prise. Le devoir de l’individu et de la société est de découvrir ce que peut être cette éthique, mais seuls peuvent y parvenir ceux qui participent à la ‘conscience nationale’, façonnée au cours des siècles : les Juifs, en tant que race étrangère, ne peuvent s’engager dans cette quête”. 22

Le fil antisémite incorporé à la philosophie organique et holistique par les nationalistes de droite s’est accentué dans les années 1920. Les Allemands projetaient sur les Juifs tous les aspects du système capitaliste industriel allemand qui leur déplaisaient le plus – les Juifs étaient diabolisés comme étant sans âme, sans racines et mercenaires.

Il a même été dit, ou sous-entendu, explique Harrington, que la capacité de penser et de voir la nature dans son ensemble (l’art de la Ganzheitsbetrachtung) était une caractéristique propre à l’esprit “indo-germanique”, alors que l’esprit juif était fondamentalement analytique, dissolutif et matérialiste. 23

Un article paru en 1935 dans le journal médical officiel du parti nazi, Ziel und Weg, affirmait que la nature dissolue et stérile de la pensée et de la science juives ne pouvait conduire qu’à la “mort” et l’opposait à la pensée “simple, organique et créative” du “non-juif sain”, qui “pense en entier”. 24

L’ironie, bien sûr, est que ces théories racistes et antisémites ont démontré que ce sont les nazis eux-mêmes qui étaient incapables de penser de manière holistique.

Une vision holistique du monde comprend le lien entre toutes les personnes, toutes les créatures, toute la nature, tout le cosmos et fonde sa vision sur un sentiment d’unité globale.

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Une interprétation organique de l’espèce humaine reconnaît nécessairement l’espèce humaine elle-même comme un organisme.

Il peut y avoir des “organismes” moins importants et changeants au sein de cette unité – et l’humanité peut faire partie de plus grands organismes naturels et cosmiques – mais l’espèce humaine est indéniablement l’exemple le plus clair d’une unité biologique, entre celle de l’individu et celle du bio-système de la Terre dans son ensemble.

Le sentiment de cette unité fait partie intégrante de la vision organique et holistique du monde, et pourtant il est totalement absent de l’idéologie raciste, antisémite et nazie.

Les idées d’universalisme et d’humanisme étaient anathèmes pour le nazisme et considérées comme des inventions juives cosmopolites destinées à saper le sentiment d’identité nationale et raciale des Allemands.

Leur sens rabougri de la solidarité humaine se limitait à ceux qu’ils définissaient comme étant leur propre peuple. Toute personne en dehors de cette enclave teutonne était simplement une non-personne, un objet.

Comme certains penseurs postmodernes d’une époque ultérieure, les nazis nient l’existence même de l’homme, ce qui, comme le souligne Johann Chapoutot, “rend impossible la fraternité comme affect (ressentir la souffrance d’autrui) et invalide la fraternité comme principe”. 25

C’est ce qui se cachait derrière le regard froid du scientifique nazi, décrit par Primo Levi dans Survivre à Auschwitz. Il regardait le prisonnier juif comme s’il observait une créature marine à travers “la vitre d’un aquarium”.26 Il n’y avait aucun sentiment de connexion humaine.

L’antisémitisme dont fait preuve le scientifique ici n’est pas simplement un préjugé, mais un préjugé solidifié en quelque chose d’autojustifié par la croyance en la validité de la théorie raciale pseudo-scientifique des nazis.

Chapoutot dit de ce racisme : “Les Slaves sont présentés comme des êtres tellement étrangers qu’aucune communication de nature humaine n’est envisageable avec eux. Quant aux Juifs, ils ne sont même pas considérés comme une race étrangère, mais plutôt comme un phénomène d’ordre bactériologique ou viral”. 27

Auschwitz

C’est cette capacité à considérer les autres êtres humains comme de simples bactéries qui a permis à l’État nazi de se lancer dans ses politiques inhumaines de sélection raciale, de stérilisation, de castration, d’expérimentation et d’extermination massive.

Loin d’être inspirée par une vision holistique du monde, cette perspective découle de la fragmentation même dont se plaignent les partisans de la pensée organique. C’est la pensée mécanique.

L’approche des nazis est marquée par un désir non pas pour comprendre, inclure et relier, mais pour séparer, classer et objectiver. Comme Hitler lui-même l’a dit : “Le nazisme, c’est de la biologie appliquée”.28

Au lieu de rompre avec l’ère froide, sans âme et mécanique, les nazis la poussent vers de nouveaux niveaux d’inhumanité.

Dès 1933, le psychanalyste Wilhelm Reich a observé que le fascisme n’avait rien à voir avec l’intégralité, mais qu’il était plutôt le point culminant du culte fou de la civilisation moderne pour la Machine.

L’homme fasciste s’était laissé transformer en une machine aliénée de toutes les pulsions biologiques authentiques et donc capable de “meurtre de machine”. 29

Un article de Gerhard Portele paru dans Gestalt Theory en 1979 va dans le même sens en affirmant que, malgré l’utilisation par les nazis d’un langage holistique, l’essence de leur idéologie réside dans leur négligence de l’ensemble : “Les nazis, avec leur rationalité calculatrice et comptable, étaient formés à la pensée parcellaire à un degré extrême et considéraient les gens comme des rouages”. 30

Cette incompatibilité fondamentale entre la pensée organique et holistique et l’idéologie nazie est devenue de plus en plus évidente lorsque leur rhétorique romantique s’est heurtée aux réalités pragmatiques de la gestion de l’État industriel-capitaliste allemand.

Hans Driesch
Hans Driesch

Hans Driesch (1867-1941), un biologiste dont la vision organique était résolument internationaliste, a été l’un des premiers professeurs allemands non juifs à être mis à la retraite de force après l’arrivée d’Hitler au pouvoir en 1933 et, en 1935, tous ses privilèges de parole publique et de voyage lui ont été retirés.

Après la défaite de l’Allemagne lors de la Seconde Guerre mondiale, un certain nombre d’autres théoriciens de l’organicité, tels que le philosophe et historien de la biologie Adolf Meyer-Abich, ont déclaré qu’ils avaient eux aussi été activement persécutés par le Troisième Reich en raison des menaces que leur holisme représentait pour les politiques nazies.

La faction nazie qui avait déformé la pensée organique en une théorie raciste et antisémite a elle-même été remplacée par un groupe encore plus dur.

Harrington explique : “La seconde faction était composée de technocrates médicaux plus pragmatiques qui voulaient utiliser une forme dure de génétique mendélienne, de darwinisme et de biologie raciale comme base de la politique sociale et de la stratégie militaire nazies. Ce groupe avait trouvé sa place sous la juridiction de la SS de Himmler et de ses organisations raciales filles, le Lebensborn et l’Ahnenerbe“. 31

Le généticien Karl Astel et ses collègues technocrates, outrés par l’influence exercée par des personnes comme Karl Kötschua et sa “thérapie de la nature”, ont élaboré un complot visant à discréditer les vues holistiques qui, selon lui, allaient à l’encontre des théories nazies étroites de suprématie raciale.

De la même manière que les propagandistes anti-holistes d’aujourd’hui tentent de noircir son nom en le liant aux nazis, ces derniers ont sali l’holisme en le liant à l’Église catholique.

Un article de 1936 “exposant” ce complot catholique décrit “une attaque habilement organisée et bien camouflée contre l’ensemble des sciences exactes, y compris la génétique et l’hygiène raciale”.

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Sous le nom d’holisme, les sinistres jésuites utiliseraient des dupes scientifiques pour diffuser une doctrine catholique et saper la science nazie. Leur stratagème astucieux consisterait à “utiliser intentionnellement des mots à consonance nationale-socialiste, tels que ‘intégralité’, ‘organique’, ‘biologique’, etc.” afin de semer la confusion tout en donnant l’impression d’être dans le coup. 32

En raison de cette propagande, même les partisans nazis de la théorie biologique sont désormais chassés des postes d’influence. En 1938, Lehmann, déjà cité, fut expulsé du Biologen Verband (Organisation des biologistes) qu’il dirigeait depuis 1931 et démis de sa fonction de rédacteur en chef de Der Biologe.

Une nouvelle organisation au sein de la SS est créée, le Reichsbund für Biologie (Division du Reich pour la biologie) qui, sous la supervision directe de l’Ahnenerbe et finalement de Himmler lui-même, reprend la rédaction de Der Biologe.

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Le nazisme ne ressemblait pas beaucoup à un culte de la nature

La théorie organique de la vie, qui met l’accent sur l’harmonie naturelle, l’interconnexion des êtres humains et les relations symbiotiques, était en contradiction idéologique flagrante avec les objectifs du régime nazi, qui voulait renforcer la puissance industrielle et militaire de l’Allemagne, construire des autoroutes, développer l’ingénierie raciale scientifique pour renforcer la “race supérieure”, explorer le potentiel de la physique nucléaire et éliminer impitoyablement les éléments humains “étrangers” de la société allemande.

La nouvelle version de Der Biologe, gérée par les SS, indique clairement qu’il n’y a pas de place pour les vues floues et holistiques d’hommes comme Lehmann et l’anthropologue völkisch Ernst Krieck, même s’ils sont nazis et antisémites. “La biologie est une recherche sur les faits !” aboyait-il dans un éditorial de 1939.

Les faits ! C’est le langage de la pensée atomiste, mécaniste, industrielle de la Machine, le langage même auquel les nazis avaient prétendu s’opposer, au moment où ils courtisaient la population allemande.

Depuis les années 1890, il y a eu une bataille culturelle entre deux tendances allemandes. D’un côté, il y avait la tradition de Goethe, le désir romantique de la vie, de l’âme, de la plénitude. De l’autre côté, il y avait la nouvelle Allemagne, obsédée par l’efficacité et la technique, la “nation machine” militariste de 1914.

Alors que le nazisme était clairement influencé à un certain niveau par la première, la tradition romantique, et heureux d’utiliser cette association pour obtenir le soutien d’un public allemand désespéré par la modernité capitaliste, il s’est avéré en fin de compte appartenir fermement à la seconde.

Il incarnait, sous une forme exagérée, la pensée de la Machine capitaliste industrielle, pour laquelle les êtres humains ne sont rien d’autre que du fourrage. Ce n’était pas simplement une question de racisme ; même ceux qui étaient acceptés comme Allemands étaient censés être “productifs”, servir les objectifs de l’État-machine d’une manière ou d’une autre. Les Allemands non performants, non productifs (leistungsunfähige Wesen) et les parasites (Asoziale) n’étaient pas jugés dignes de vivre dans la société allemande.

En raison des crimes hideux commis par le régime nazi, il existe aujourd’hui un accord quasi universel pour dire que nous n’aimons pas le Troisième Reich et ses idées.

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Mais nous devons être clairs sur ce que nous n’aimons pas. Nous n’aimons pas l’extermination massive. Nous n’aimons pas l’antisémitisme et le racisme. Nous n’aimons pas le militarisme belliciste. Nous n’aimons pas le nationalisme aveugle. Nous n’aimons pas l’État policier. Nous n’aimons pas l’eugénisme. Nous n’aimons pas la propagande et l’hystérie de masse.

Il y avait d’autres éléments présents dans le nazisme qui ne font pas partie de ces maux et qui n’ouvrent pas nécessairement la voie vers eux.

Le pain complet est-il une mauvaise chose parce que les nazis disaient qu’il était bon ? Les plantations d’herbes médicinales sont-elles insidieuses parce qu’il y en avait une à Dachau ? Toute pensée biologique est-elle suspecte parce qu’une version de celle-ci a été exploitée, et déformée, par certains idéologues nazis ?

Poursuivant sa discussion sur l’utilisation par les nazis d’un vocabulaire organique et basé sur la nature (voir ci-dessus), Lyon, qui se décrit comme écrivaine juive, ajoute : “Il n’y a rien d’intrinsèquement problématique dans aucun de ces trois termes. C’est lorsqu’ils ont adopté l’argument selon lequel une race de personnes devait être supérieure aux autres, parce qu’elle provenait de ces valeurs et de ce sol, que tout a mal tourné…” 34

3. Existe-t-il d’autres manifestations possibles de l’idéologie organique ?

Comme nous l’avons déjà noté dans la dernière section, des versions non nazies de l’idéologie organique sont non seulement possibles, mais ont existé sous une forme très réelle à côté de la variété raciste de droite aujourd’hui discréditée.

Anne Harrington
Anne Harrington

Harrington souligne à juste titre qu’il est utile de connaître l’histoire de la science holistique allemande, afin de ne pas tomber dans le piège qui consiste à penser que toute alternative à la vision mécaniste dominante du monde doit être évitée parce qu’elle mène inévitablement au fascisme.

Elle ajoute : “Il est important de résister à la tentation de ‘découvrir’ les contours d’un avenir terrible dans le passé de l’holisme ou d’imaginer que toutes les visions holistiques, vitalistes ou téléologiques de la nature font partie d’une plus grande ‘destruction de la raison’ que l’on peut suivre en ligne droite, en dégénérant, des romantiques à Hitler en passant par Hegel et Nietzsche”. 35

Parfois, ces enquêtes peuvent simplement aboutir à la révélation qu’un scientifique ou un penseur particulier n’était pas réellement un nazi. Le biologiste Jakob Von Uexküll, par exemple, était certainement très conservateur sur le plan politique, mais n’était pas un suprémaciste blanc : il soutenait que tous les groupes humains devaient être respectés dans leur spécificité, car tous, en fin de compte, sont des expressions de la même énergie vitale créatrice. 36

À d’autres moments, ils nous mènent beaucoup plus loin que cela et nous voyons l’énorme potentiel idéologique des variantes du thème organique qui vont dans une direction libertaire, humaniste, internationaliste, de gauche.

Driesch, par exemple, défendait un idéal de cosmopolitisme culturel et rejetait toute idée que l’État-nation puisse être considéré comme un organisme. Le seul organisme collectif supra-personnel qu’il était prêt à considérer était le concept d’une humanité qui ne reconnaissait aucune frontière nationale ou völkisch.

Avant l’arrivée d’Hitler au pouvoir, Driesch avait mis en garde, tant dans des articles universitaires que dans des journaux, contre les dangers de la montée du nationalisme. Pour contrer ce phénomène, il a souligné l’unité biologique de l’espèce humaine. Il a également exprimé son opposition au militarisme, le décrivant comme “le plus terrible de tous les péchés” contre les principes vitalistes de la vie, de la coopération holistique et du développement supérieur. 37

Le neurobiologiste russo-suisse Constantin von Monakow (1853-1930) a également développé une théorie holistique et organique qui a conservé sa cohérence logique en parlant d’ensembles interconnectés, plutôt que de dévier vers le particularisme fragmenté et diviseur du dogme nazi.

Constantin von Monakow
Constantin von Monakow

Monakow a eu l’idée de l’horme, une sorte de force motivante et directrice intrinsèque omniprésente. Il explique : “Le horme n’est rien d’autre que l’activité de l’univers (Worldhorme), au sein duquel nous, les enfants humains, sommes des parties nécessaires hautement organisées. En tant que tels, nous sommes étroitement liés les uns aux autres dans le temps et en partie aussi dans l’espace – grâce à notre libre mobilité : nous tissons des liens avec les animaux et les plantes, mais aussi avec les corps non organiques, dans lesquels nous nous fondons après la mort. Il y a une gloire indéniable dans la pensée qu’un lien temporel indélébile nous lie, non seulement avec nos ancêtres et nos descendants, mais surtout aussi avec tout le reste du monde organique”. 38

Il a interprété notre relation au monde extérieur en termes d’expansion de cercles concentriques de conscience. Le niveau d’existence le plus élémentaire implique une préoccupation pour soi et la survie. Cette préoccupation s’étendait souvent à la famille et à la communauté immédiate qui entourait l’individu.

Mais les êtres humains plus évolués ont pu saisir leur appartenance à des entités de plus en plus grandes, jusqu’à l’espèce humaine, le monde organique et le cosmos.

il a vu que pour se guérir et se remettre sur la voie de sa véritable évolution, l’humanité devait faire confiance à ses impulsions biologiques les plus profondes. Toute la sagesse dont nous avions besoin pour trouver cette voie était déjà en nous, mais étouffée par les constructions de la société moderne.

La vision holistique de Monakow, selon laquelle toute vie est imbriquée dans un processus dynamique d’évolution, impliquait donc naturellement une perspective internationaliste. Rien d’autre, en fait, n’aurait eu de sens dans ce contexte.

Elle l’a également placé en opposition à la pensée de l’ère industrielle qui rejetait toute idée de relation organique de sujet à sujet avec les autres parties de l’organisme naturel au profit d’une relation de sujet à objet basée sur la domination et l’exploitation.

Il a vu que pour se guérir et se remettre sur la voie de sa véritable évolution, l’humanité devait faire confiance à ses impulsions biologiques les plus profondes. Toute la sagesse dont nous avions besoin pour trouver cette voie était déjà en nous, mais étouffée par les constructions de la société moderne. Nous devons puiser dans ce sens naturel de la direction et de la justesse, a-t-il dit, et réaliser que chaque petite fibre vivante en nous est “tellement plus merveilleuse que toutes les merveilles de la technologie et mille fois plus intelligente”. 39

Kurt Goldstein
Kurt Goldstein

L’un des plus fervents défenseurs de l’approche de Monakow était Kurt Goldstein (1878-1965), un juif socialiste critique de la modernité, qui a entrepris de combiner la philosophie allemande holistique et organique avec les valeurs de la raison, de la démocratie et de la liberté individuelle.

Tout au long de sa vie, il a mis en garde contre les dangers de l’application de modes de pensée scientifiques étroits et fragmentés à d’autres domaines.

Il a écrit dans un article non publié de 1965 : “Le progrès par l’application de la science à tous les domaines, y compris ceux qui sont liés au côté spirituel de l’homme, comme l’éducation, la psychologie, la sociologie, etc., semble être si énorme que quelqu’un qui ose aujourd’hui s’opposer ne serait-ce qu’un peu à cette tendance et met en garde contre les conséquences fatales pour l’existence humaine est considéré comme stupide ou sans éducation, irresponsable ou plein de préjugés”. 40

Dans la perspective holistique de Goldstein, tout était interconnecté, à l’extérieur et à l’intérieur de l’être humain individuel. Les mots “esprit” et “corps”, par exemple, ne désignent pas de véritables entités, mais seulement des “symboles”, des abstractions humaines, désignant différents aspects d’une réalité organique globale qui ne peut être divisée.

Goldstein a été décrit par Ruth Nanda Anshen comme ayant introduit “une nouvelle doctrine de l’organisme dont on peut dire qu’elle prend la place du matérialisme avec lequel, depuis le XVIIe siècle, la science a enlisé la philosophie”. 41

Le psychologue Max Wertheimer (1880-1943), prenant Goethe comme point de départ, développe l’idée de Gestalt, ou forme sous-jacente, dans une direction prometteuse, loin de l’impasse du racisme dans laquelle les nazis ont tenté de la détourner.

Né à Prague, il a fui l’Europe centrale avant l’arrivée d’Hitler au pouvoir et a poursuivi son travail aux États-Unis, dont il est devenu plus tard citoyen américain.

Alors que les nazis insistaient que la pensée fragmentaire était typique des juifs,

Max Wertheimer
Max Wertheimer

Wertheimer, qui était lui-même juif, a retourné cette idée contre eux. Il affirmait que le monde moderne avait rogné la capacité de réflexion de l’humanité. Les démagogues et certains intellectuels se servent de la pensée fragmentaire – des séries de propositions arrachées à leur contexte de vie original – pour amener les gens à accepter leurs idées.

Dans son essai de 1934 intitulé “Sur la vérité”, il fait la distinction entre la vérité et les simples faits. Les faits (tels que fétichisés par les biologistes SS – voir ci-dessus) ne signifient rien en soi. La vérité est une compréhension holistique de la signification de divers faits dans le contexte plus large de leur relation les uns avec les autres et avec un ensemble plus vaste. Il a écrit : “Une chose peut être vraie dans le sens fragmentaire, et fausse, voire mensongère, en tant que partie de son tout”. 42

Wertheimer estimait que les concepts clés de vérité, d’éthique, de démocratie et de liberté étaient tous attaqués par la pensée universitaire contemporaine, influencée par le positivisme, le pragmatisme et le relativisme culturel. En effet, cette position anti-holistique avait elle-même contribué à préparer un champ intellectuel dans lequel il était devenu possible pour les nazis de réussir.

Dans un essai sur l’éthique, il jette un regard critique sur la relativité éthique qui – comme les nazis avec leur particularisme germano-aryen – nie l’existence d’universaux éthiques.

Croyant en l’unité organique de l’humanité, Wertheimer a contesté cette affirmation et a insisté sur le fait que l’expérience a montré que la plupart des gens, “lorsqu’ils sont confrontés à une injustice claire et réelle”, réagissent spontanément d’une manière que les êtres humains considèrent universellement comme décente et éthique. 43

La psychologie de la Gestalt, que Wertheimer a développée avec Kurt Koffka (1886-1941) et Wolfgang Köhler (1887-1967), a eu une influence sur la théorie critique anticapitaliste d’Herbert Marcuse (1898-1979), de Max Horkheimer (1895-1973) et de l’École de Francfort en général.

Les approches organiques et anti-mécaniques adoptées par des penseurs juifs tels que Wertheimer et Goldstein illustrent le fait qu’il existait en Europe germanophone un vaste courant anti-industriel qui n’était pas simplement non-nazi, mais anti-nazi, et dont les principes fondamentaux le plaçaient en opposition directe au fascisme.

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Michael Löwy

Le sociologue et philosophe franco-brésilien Michael Löwy a exploré en profondeur le mouvement intellectuel, principalement juif, qu’il appelle “romantisme anti-capitaliste”.

Löwy écrit : “À maints égards, les intellectuels juifs de la Mitteleuropa, dans la mouvance utopique-romantique – qui se retrouve autour de la revue de Buber, Der Jude, des revues expressionnistes (Die Aktion), du cercle Bar-Kokhba de Prague, de l’École de Francfort ou des partis de gauche – se distinguent, par le type de culture qu’ils on produit, des intellectuels juifs européens occidentaux ou orientaux, ainsi que de leurs pairs, les intellectuels “gentils” de la culture allemande”. 44

Leur vision, dit-il, s’articulait autour d’une “critique culturelle de la civilisation capitaliste moderne au nom des valeurs prémodernes ou précapitalistes” et ils se révoltaient “contre la quantification et la mécanisation de la vie, la réification des rapports sociaux, la dissolution de la communauté (Gemeinschaft) et, avant tout – et pour reprendre les termes utilisés par Max Weber – le désenchantement du monde (Entzauberung der Welt) résultant de la rationalité instrumentale (Zweckrationalität) et de l’esprit de calcul correspondant (Rechnenhaftigkeit) qui dominent la culture moderne”. 45

L’identité juive de penseurs comme Buber ou Gershom Scholem ne les a pas empêchés de puiser en partie dans l’héritage de la tradition romantique allemande pour dénoncer le vide de la vie moderne et chercher un sens à l’existence dans le mythe, l’histoire ou la religion.

Buber, par exemple, a proposé une vision de la société socialiste libertaire inspirée des communautés du passé, mais sans s’y limiter. Il a écrit : “La nouvelle totalité organique, fondée sur la régénération des “cellules” du tissu social, sera la renaissance (et non le retour) de la commune organique sous la forme d’une fédération décentralisée de petites communautés”. 46

Sa position est relayée en France par celle de Bernard Lazare (1865-1903), anarchiste juif qui rejette le mythe du progrès et l’attrait du moderne au profit d’un respect du passé, notamment des guildes médiévales ou des communautés rurales.

Il n’y avait rien de réactionnaire dans cette opposition à la solitude produite en masse dans le monde capitaliste moderne et dans ce désir de faire revivre, sous une forme différente, les communautés organiques qui avaient été écrasées par la machine.

Löwy commente que Lazare “projetait sa nostalgie romantique du passé dans un avenir utopique, en adhérant aux idées anarchistes”. 47

Walter Benjamin, pour sa part, insistait : “La déconstruction de l’idéologie du progrès ne se fait pas au nom de la conservation ou de la restauration, mais au nom de la révolution“.48 Il soulignait que, par contraste, le fascisme impliquait la combinaison typiquement moderne du progrès technologique et de la régression sociale. 49

Dans cette perspective organique radicale, le fascisme se révèle clairement être une force contre-révolutionnaire protégeant le système capitaliste industriel.

4. Quelle idéologie politique s’accorde le mieux avec une approche biologique ?

Un bon point de départ est l’immensément influent sociologue allemand Ferdinand Tönnies (1855-1936), célèbre pour avoir opposé Gemeinschaft (communauté traditionnelle) à Gesellschaft (société moderne).

Son analyse n’était pas nouvelle en soi et on pourrait pratiquement dire qu’elle faisait partie de la Pensée organique I, telle qu’exposée ci-dessus. Il s’agissait presque d’une manière traditionnelle de considérer la société authentique comme une société enracinée dans les relations humaines symbiotiques de la petite communauté.

Depuis le Moyen Âge, l’homme est passé du statut de participant à une entité vivante généralement harmonieuse à celui de victime atomisée d’un système qui impose ses exigences et ses lois d’en haut.

Mais la propre expérience de Tönnies a été façonnée par la mécanisation et la commercialisation de la société allemande dans laquelle il vivait. Sa théorie était en grande partie une réponse politique au capitalisme industriel et faisait donc partie de la vague idéologique que nous avons appelé la Pensée organique II.

Tout au long de son œuvre la plus connue, Communauté et Société, ainsi que dans Geist der Neuzeit, il est clair que Tönnies considérait la transition occidentale de Gemeinschaft à Gesellschaft comme un déclin social et culturel plutôt que comme un triomphe du progrès.

Depuis le Moyen Âge, l’homme est passé du statut de participant à une entité vivante généralement harmonieuse à celui de victime atomisée d’un système qui impose ses exigences et ses lois d’en haut.

Ferdinand Tonnies
Ferdinand Tönnies

Tönnies a clairement expliqué la différence entre ces deux modes de vie : “Il existe une Gemeinschaft de la langue, du folklore ou des mœurs, ou des croyances ; mais, par contraste, Gesellschaft existe dans le domaine des affaires, des voyages ou des sciences… Gemeinschaft est ancienne. Gesellschaft est nouveau en tant que nom et en tant que phénomène”. 50

Le terme “organique” est utilisé fréquemment, et toujours dans un sens positif, par le sociologue et est placé en contraste direct avec le mot “mécanique”.

Il écrit, par exemple, dans Communauté et Société : “Contrairement à la Gemeinschaft, la Gesellschaft est transitoire et superficielle. En conséquence, Gemeinschaft doit être comprise comme un organisme vivant, Gesellschaft comme un agrégat mécanique et un artefact”51 et ajoute que “les tendances et le caractère inévitable de la croissance et de la décadence organiques ne peuvent être compris par des moyens mécaniques”. 52

Tönnies souscrit à la vision holistique de l’être humain, écrivant : “On en conclut que l’âme (ou la volonté) influence le corps. Ceci est impossible puisque les deux sont identiques”. 53

Il avance l’idée d’une “volonté naturelle”, sorte de manifestation individuelle de la Gemeinschaft – innée, organique et artistique – par opposition à la “volonté rationnelle” de la société moderne de plus en plus artificielle.

Tönnies se réfère à “l’analyse magistrale de Karl Marx”,54 l’une de ses principales influences, et présente clairement une version anticapitaliste de gauche de l’idéologie organique – ce n’est pas pour rien qu’il a été évincé de sa longue présidence de la Société allemande de sociologie lorsque les nazis ont pris le pouvoir en 1933.

Il assimile explicitement la Gesellschaft, le contraire de sa Gemeinschaft organique, au capitalisme. “Les marchands ou les capitalistes”, écrit-il, “sont les maîtres et les dirigeants naturels de la Gesellschaft. La Gesellschaft existe pour eux. Elle est leur outil”. 55

Le passage à la Gesellschaft “signifie la victoire de l’égoïsme, de l’impudence, de la fausseté et de la ruse, l’ascendant de l’avidité pour l’argent, de l’ambition et de la soif de plaisir”. 56

new york

La ville, pour Tönnies, est l’incarnation du monde moderne sans âme, artificiel et capitaliste : ” La ville est typique de la Gesellschaft en général… Sa richesse est une richesse en capital qui, sous forme de commerce, d’usure ou de capital industriel, est utilisée et se multiplie. Le capital est le moyen d’appropriation des produits du travail ou d’exploitation des travailleurs”. 57

Parallèlement à sa critique de la manière dont les relations mercantiles – la société capitaliste – détruisent les communautés authentiques, il condamne de manière cinglante l’État moderne.

L’État, dit Tönnies, “n’est rien d’autre que la force”58 et s’oppose totalement à la “vie et à la culture populaires”59 qui sous-tendent la cohésion de la Gemeinschaft, supprimant toute possibilité d'”un ordre naturel dans lequel chaque membre fait sa part harmonieusement afin de jouir de sa part”. 60

Les gens ordinaires ne savent que trop bien que l’État agit contre leurs intérêts, dit-il, et les empêche effectivement d’exister en tant qu’entité organique.

“L’État est leur ennemi. Pour eux, l’État est un pouvoir étranger et inamical ; bien qu’il semble avoir été autorisé par eux et qu’il incarne leur propre volonté, il s’oppose néanmoins à tous leurs besoins et à tous leurs désirs, protégeant des biens qu’ils ne possèdent pas, les forçant à faire leur service militaire pour un pays qui ne leur offre le foyer et l’autel que sous la forme d’une pièce chauffée à l’étage supérieur ou qui leur donne, en guise de sol natal, les rues de la ville où ils peuvent contempler le scintillement et le luxe des fenêtres éclairées à jamais hors de leur portée ! Leur propre vie n’est rien d’autre qu’une alternative constante entre le travail et les loisirs, qui sont tous deux déformés en routine d’usine et en plaisir de bas étage dans les saloons. La vie urbaine et la société civile condamnent les gens du peuple à la décadence et à la mort…” 61

Les gens ordinaires ne savent que trop bien que l’État agit contre leurs intérêts, dit-il, et les empêche effectivement d’exister en tant qu’entité organique.

Cette compréhension de l’État en tant qu’entité artificielle qui prétend incarner la communauté, mais qui en réalité la tue, fait partie intégrante de la tradition anarchiste classique, en particulier lorsqu’elle est associée à la conscience de classe de Tönnies et à son rejet fondamental de la mentalité capitaliste.

L’idée d’une communauté organique, Gemeinschaft, qui est empêchée de s’épanouir à cause de l’État, est en fait essentielle à l’argument anarchiste.

Les opposants affirment que la suppression de l’État conduirait au chaos, mais les anarchistes soutiennent que ce n’est pas le cas, car les gens ont une capacité naturelle (même si elle n’est pas réalisée) à vivre harmonieusement et en coopération en dehors de toute hiérarchie étatique.

La vision anarchiste est intrinsèquement organique, car elle est fondée sur le concept de communautés libres et authentiques en tant qu’entités collectives vivantes.

anarchy
Les anarchistes insistent sur le fait que nous avons une tendance naturelle à coopérer

Theodore Roszak attire l’attention sur ce point dans Where the Wasteland Ends, en notant : “L’anarchisme a toujours été, de manière unique, une politique influencée par une sensibilité organique ; il est né d’une préoccupation pour la santé de la structure cellulaire de la société et d’une confiance dans l’autorégulation spontanée”. 62

En face de cela, il identifie “le fanatisme anti-organique de la culture occidentale”, qui est essentiellement la haine de la Gesellschaft pour la Gemeinschaft.

Roszak explique : “L’organisme est l’autorégulation spontanée, le mystère de la croissance formée, la sagesse inarticulée des instincts. La vision unique ne peut comprendre un tel état d’être, et encore moins lui faire confiance pour s’occuper de lui-même”. 63

Le concept de communauté organique (possible), permettant aux êtres humains de vivre sans structure étatique descendante, est nécessairement implicite dans toute pensée anarchiste cohérente, mais est parfois exprimé de manière plus explicite.

Gustav Landauer (1870-1919) était un anarchiste juif allemand proche de Martin Buber et s’inscrivant dans la tradition anticapitaliste identifiée par Löwy. Sa philosophie illustre le potentiel passionnant de la pensée organique développée dans une direction anarchiste et internationaliste.

“Landauer représente une forme de gauche du courant de pensée völkisch“, déclarent Russell Berman et Tim Luke dans leur introduction à son livre “Appel au socialisme”. 64

Landauer a condamné l'”inculture” du capitalisme mécaniste et a écrit que

Gustav Landauer
Gustav Landauer

“le seul objectif de l’anarchisme est de mettre fin à la lutte des hommes contre les hommes et d’unir l’humanité afin que chaque individu puisse déployer son potentiel naturel sans entrave”. 65

Comme Monakow, Landauer a étendu son concept de l’organique à un niveau cosmique, considérant l’univers comme une créature vivante dotée d’une âme collective et écrivant que “la psyché [das Seelenhafte] dans l’être humain est une fonction ou une manifestation de l’univers infini”. 66

Il rejetait l’idée que l’évolution de l’humanité dépendait des progrès de la science et proposait plutôt une régénération fondée sur la spiritualité sociale, ou Geist, l’énergie collective qui anime une authentique communauté humaine.

L’anarchiste russe Pierre Kropotkine (1842-1921) est bien connu pour avoir développé l’idée de l’entraide comme moyen de comprendre la société humaine.

Il a soutenu, contre les darwinistes sociaux de droite, que la coopération est au moins aussi importante dans l’évolution que la compétition et que, par conséquent, les êtres humains ont la capacité de vivre ensemble dans une société anarchiste libre, basée sur la solidarité organique, sans aucun contrôle étatique.

Mais, en fait, Kropotkine est allé encore plus loin en développant une philosophie basée sur la nature qui était similaire à bien des égards à celles de Driesch, Monakow et Goldstein.

Il soutient, dans Ethics, que non seulement nous, les êtres humains, faisons physiquement partie de la nature, mais que notre pensée aussi, y compris notre moralité, découle de la même source. La nature a été “le premier professeur d’éthique de l’homme”,67 dit-il, nos idées du mal et du bien étant le reflet de ce que nos ancêtres ont vu dans la vie animale. 68

Entraide-Justice-Moralité sont donc les étapes consécutives d’une série ascendante, que nous révèle l’étude du monde animal et de l’homme. Elles constituent une nécessité organique qui porte en elle-même sa propre justification, confirmée par l’ensemble de l’évolution du règne animal, depuis ses premiers stades (sous forme de colonies des organismes les plus primitifs), jusqu’à nos communautés humaines civilisées. Au sens figuré, c’est une loi universelle de l’évolution organique, et c’est pourquoi le sens de l’entraide, de la justice et de la moralité sont enracinés dans l’esprit de l’homme avec toute la force d’un instinct inné”. 69

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Peter Kropotkin

Comme Tönnies, Kropotkin porte un regard favorable sur le Moyen Âge et les sociétés antérieures où les coutumes et les codes servaient à protéger la communauté collective contre les individus cupides ou avides de pouvoir.

Il n’hésite pas à parler de “l’organisme social” 70 et à exprimer une vision du monde classiquement holistique et orientée vers la nature. Il écrit, par exemple, que “nous sommes obligés de reconnaître que tout phénomène naturel – la chute d’une pierre particulière, le débit d’un ruisseau, ou la vie d’un arbre ou d’un animal, constitue la manifestation nécessaire des propriétés de l’ensemble, de la somme totale de la nature animée et inanimée”. 71

Cela ne devrait pas nous surprendre, même si de nombreux successeurs anarchistes de Kropotkine au XXIe siècle semblent avoir peur de tout discours sur la nature, les organismes sociaux, les instincts innés et l’universalité.

L’anarchisme est une philosophie politique dont l’aspect révolutionnaire et destructeur n’a de sens que s’il est soutenu par cette vision positive d’une société naturelle et organique qui sera libérée pour s’épanouir une fois la machine étatique-capitaliste abattue.

Pour répondre directement à la question posée au début de cette section, c’est très clairement la meilleure adéquation politique avec le courant de la philosophie holistique et organique que nous avons décrit dans cet article.

5. Le radicalisme organique est-il la seule cible du dénigrement nazi contemporain ?

Jusqu’à présent, nous avons vu que, bien qu’un certain courant de l’idéologie nazie ait été influencé par certains aspects de la pensée organique, il s’écartait fortement de cette tradition. En rejetant une vision humaniste universaliste en faveur d’un racisme étroit, ces penseurs nazis ont essentiellement tourné le dos au holisme en tant que philosophie.

Leur approche fragmentaire, parcellaire et divisée reflétait plutôt la pensée fragmentaire de l’ère industrielle que la nouvelle vague de pensée organique avait voulu attaquer. Les critiques de l’industrialisme au sein du mouvement nazi étaient presque entièrement éclipsées par une obsession pragmatique de la Technik et du progrès industriel.

En effet, le fascisme ressemble davantage à une caricature grotesque de la société industrielle inhumaine à laquelle s’oppose la pensée organique, une amélioration effroyablement efficace, au XXe siècle, de la machine capitaliste à vapeur de l’ère précédente.

Alors pourquoi, pourrait-on se demander, tant d’écrivains politiques cherchent-ils à établir un lien entre les nazis et les modes de pensée anti-industriels, écologiques et organiques ?

Pour répondre à cette question, il convient de replacer le problème dans un contexte plus large et d’examiner un autre exemple dans lequel des associations nazies présumées ont été déployées comme outil politique.

Seattle

Le mouvement anticapitaliste mondial, depuis ses succès grisants, fin XXe début XXIe siècle, a souvent été accusé d’abriter des tendances fascistes ou antisémites cachées.

L’un des principaux thèmes de cette critique est celui exprimé en juin 1999 par l’organisation néerlandaise De Fabel van de illegaal (“Le mythe de l’illégalité”) qui s’est retirée du mouvement antimondialisation, se plaignant qu’il entraînait les gauches vers une sorte de nationalisme.

Si des exemples ont été donnés d’individus ou de groupes de droite influençant les franges du mouvement, l’essentiel de la critique était plus idéologique.

De Fabel écrivait alors que l’analyse en termes de “capital international” ou de “capital spéculatif” est “potentiellement antisémite”. “Potentiellement”, parce que l’idéologie de ce type d’anti-capitalisme présenterait “d’énormes similitudes structurelles avec l’antisémitisme”, même lorsqu’il n’était pas question que “les Juifs” possèdent le capital international, comme l’a expliqué Eric Krebbers en 2003. 72

Dans le même article, Krebbers s’est également insurgé contre la solidarité avec les luttes palestiniennes exprimée par les anticapitalistes, se plaignant : “Lors des grandes manifestations organisées récemment en Italie, où le mouvement altermondialiste est probablement le plus fort, la Palestine semble être devenue le point de référence central. De nombreux militants parlent d’une ‘intifada mondiale contre la mondialisation’ et crient souvent : ‘Nous sommes tous des Palestiniens’. Pourquoi les militants antimondialisation ont-ils besoin de s’identifier aux ‘Palestiniens’, à une ‘nation’ ? Pourquoi ces habitants de la puissance mondiale qu’est l’Union européenne désignent-ils continuellement Israël et les États-Unis comme les ‘principaux ennemis impérialistes’ ?”

Une remarque similaire a été faite trois ans plus tard, en 2002, dans un article intitulé “Anti-Globalization : The New Anti-Semitism” qui est paru sur “le principal site web de contenu juif” aish.com.

Cela a suggéré qu’il y avait une “association entre le monde arabe et les mouvement anti-mondialisation” qui “trouve ses racines dans une opposition commune à la ‘domination’ américaine. Israël et les Juifs représentent le capitalisme américain”. 73

Occupy protest
Des droits pour les personnes et non pour les entreprises

La même ligne d’attaque a notamment été développée par le regretté Moishe Postone, un universitaire qui a détecté des affinités entre des formes d’anticapitalisme et la théorie antisémite du complot.

Le message anti-élitiste et anticapitaliste des 99 % contre les 1 %, qui était si central dans le mouvement Occupy, est considéré dans cette perspective comme une attaque déguisée contre les Juifs.

Si vous parlez des banquiers et des financiers qui dirigent le monde, contrôlent les médias et encouragent la guerre, vous accusez en réalité les Juifs ou, à tout le moins, vous tombez dans les mains de ceux qui le font.

Comme l’a souligné de manière cruciale Daniel Finn dans un article publié en 2018 dans le magazine Jacobin, les insinuations d’antisémitisme peuvent ainsi être utilisées, non pas simplement pour diffamer les critiques d’Israël, mais “pour discréditer toute critique radicale du capitalisme ou de l’impérialisme dans le monde moderne”. 74

6. Quelle est la relation entre l’anticapitalisme et l’antisémitisme ?

A ce stade, il convient de donner une certaine perspective historique à ce prétendu lien entre anticapitalisme et antisémitisme.

Très instructive à cet égard est l’œuvre de Lazare, l’un des romantiques anticapitalistes de Löwy, qui s’est fait connaître comme l’un des principaux défenseurs d’Alfred Dreyfus, célèbre victime de l’antisémitisme institutionnel du XIXe siècle en France.

Bernard Lazare
Bernard Lazare

Jeune homme, Lazare avait lu des ouvrages socialistes et anarchistes expliquant que les Juifs étaient de grands hommes d’affaires et des capitalistes, et il a donc décidé qu’il ne pouvait pas être “juif”, même s’il restait “israélite”.

Il écrit en 1890, à l’âge de 25 ans : “Le Juif (beaucoup sont juifs qui tels devinrent, sans y être destinés par leur race, mais y étant voués par de natives vertus) c’est celui qui est dominé par l’unique préoccupation de faire une fortune rapide, qu’il obtiendra plus facilement par le dol, le mensonge et la ruse. Il méprise les vertus, la pauvreté, le désintéressement”. 75

Lazare était donc poussé à une forme absurde d’antisémitisme par le stéréotype social du Juif en tant que capitaliste – tout anticapitaliste, semblait-il même pour ce jeune Juif, devait donc être anti-“juif”.

Wertheimer commentera plus tard ce phénomène dans son essai de 1935 sur l’éthique. Il y décrit “un jeune membre idéaliste du parti” – le parti nazi, en l’occurrence – qui est “passionné par l’évaluation négative des membres d’une certaine race” – en d’autres termes, des Juifs.

Wertheimer ajoute : “Ce jeune homme se comporte peut-être ainsi uniquement parce qu’il a été amené à cet état par la suggestion, la propagande, par la calomnie gratuite que cette race est un serpent venimeux. Il ne se comporte pas vraiment par rapport à A (les membres de cette race) mais par rapport à un B qu’on lui a appris à identifier à cette race”.

En d’autres termes, le jeune idéaliste est instinctivement opposé au capitalisme, à l’usure, à la cupidité ou à toute autre qualité négative attribuée aux Juifs par les nazis. En raison de leur propagande antisémite, il associe ces qualités négatives entièrement aux Juifs et devient ainsi un antisémite, même si, à l’origine, il n’avait pas nécessairement de mauvaise volonté envers les Juifs en tant que tels.

Wertheimer poursuit : “Le vrai problème ici ne réside pas seulement dans le comportement du jeune homme, mais dans l’application de l’identification aveugle… Enlever par artifice la possibilité de voir la vraie situation, par l’application de jugements aveugles, de rétrécissement inapproprié du champ mental, d’induction de centrage aveugle, prive l’homme des prérequis pour nos problèmes“. 76

Alors qu’un non-juif pourrait se retrouver coincé dans cet antisémitisme induit, la judéité de Lazare lui a permis de réaliser rapidement que ce qu’il n’aimait pas vraiment, c’était les attitudes capitalistes matérialistes et avides qui faisaient de la vie une misère à la fois pour les non-juifs et pour des “Israélites” comme lui.

Il écrit dans un autre essai : “Il y a maintenant en France des milliers d’ouvriers juifs, exploités comme des chrétiens, mourant de faim comme des chrétiens, malheureux comme des chrétiens. Il y en a aussi en Angleterre, il y en a en Allemagne, il y en a en Russie…” 77

Au fur et à mesure qu’il mûrissait, Lazare s’est demandé pourquoi les péchés du capitalisme étaient conventionnellement concentrés sur cette figure de bouc émissaire qu’est l’archétype du Juif.

Il a noté, dans un article de 1892 intitulé “Juifs et antisémites”, que lorsque les antisémites libéraux déclaraient la guerre aux Juifs, ils prétendaient s’opposer à des financiers véreux. Mais, en fait, ils visaient tous ceux qui étaient circoncis ou allaient à la synagogue, y compris les ouvriers. 78

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L’antisémitisme convenait aux classes supérieures

De plus en plus, Lazare considère que ce phénomène est soigneusement fabriqué par les classes supérieures. Ils utilisaient le stéréotype du juif matérialiste et avide pour détourner l’attention et la colère de leur propre matérialisme avide.

L’antisémitisme, écrit-il en 1899, “c’est bon pour les curés, les réactionnaires et les bourgeois, car ce sont les seuls qui peuvent – ou qui espèrent – en tirer quelque chose ; ils comptent, grâce à lui, échapper aux coups dont ils sont menacés et renforcer leur puissance”.

Il a ajouté : “Méfie-toi des pseudo-socialistes qui te déclarent que si tes salaires sont bas, la faute en est aux ouvriers étrangers et aux Juifs, et que tu seras plus heureux lorsqu’on aura chassé les uns et les autres. Comme le bourgeois rirait s’il pouvait te pousser contre tes frères de misère, contre tes compagnons de chaîne et préserver ainsi sa peau”. 79

Lazare réfute le lien supposé entre le matérialisme et la judéité et fait remarquer qu’il existe de nombreux capitalistes chrétiens, notamment l’Église catholique romaine, qui possède même sa propre aile bancaire. En effet, il suggère que l’influence de la civilisation romaine est en fait à l’origine de nombreux maux sociaux imputés aux Juifs. “La divinisation de l’argent, la barbarie capitaliste, la méconnaissance de tout intérêt humain autre que l’intérêt financier ou commercial, sont les traits de l’âme romaine, mais non de l’âme juive”. 80

Lazare a ainsi clairement expliqué la manière dont l’antisémitisme était utilisé par les classes dirigeantes pour détourner l’attention des problèmes fondamentaux et des injustices de leur société capitaliste industrielle hiérarchisée et pour pousser l’opposition dans une impasse sordide de bouc émissaire racial.

Il est mort en 1903, mais il aurait sûrement identifié exactement les mêmes processus à l’œuvre dans l’Allemagne nazie. Les nazis ont été utilisés par les classes dirigeantes pour sauver l’Allemagne d’une véritable rébellion contre le capitalisme industriel.

L’animosité naturelle et saine des gens envers le matérialisme profiteur, envers la commercialisation de la société, a été délibérément détournée et transformée en antisémitisme, laissant le champ libre au capitalisme allemand pour aller de l’avant sous la bannière nazie.

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Le capitalisme industriel-militaire a prospéré sous les nazis

L’élément clé qui a permis cette désignation de boucs émissaires est évidemment l’assimilation de la judéité au capitalisme, au matérialisme et ainsi de suite – la fausse définition qui avait dérouté le jeune Lazare.

Pour empêcher sa résurgence, il semble donc crucial de briser ce lien, de démolir le mensonge selon lequel le capitalisme serait la propriété d’un seul peuple, d’une seule nation ou d’une seule religion.

Mais, malheureusement, le stéréotype juif perdure aujourd’hui. Et ce qui est encore plus regrettable, c’est qu’il est souvent entretenu par des personnes qui prétendent lutter contre l’antisémitisme.

Comme nous l’avons vu, les gauchistes qui critiquent les banquiers, les industriels et les organisations capitalistes sont parfois accusés de déployer une forme “codée” d’antisémitisme.

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Les auteurs de ces allégations ont peut-être raison de craindre un retour de la désignation des Juifs comme boucs émissaires sous le prétexte de l’anticapitalisme. Mais il est incontestable qu’en assimilant automatiquement l’opposition au système bancaire mondial à de l’antisémitisme, ils renforcent en fait les vieux stéréotypes.

Ce qui semble se produire, dans certains cas du moins, c’est que la figure du “banquier juif” est à nouveau délibérément déployée pour contrecarrer l’opposition au capitalisme.

Auparavant, elle était utilisée pour détourner les gens de l’anticapitalisme et les pousser vers l’antisémitisme, mais aujourd’hui, l’objectif est plutôt de détourner les gens de l’anticapitalisme en les menaçant d’être qualifiés d’antisémites.

L’objectif de cet alarmisme idéologique n’est pas, en fait, de combattre l’antisémitisme, mais d’utiliser le dénigrement des associations antisémites comme un moyen de discréditer l’opposition au système économique dominant.

En d’autres termes, les capitalistes, dans le passé, ont délibérément attisé l’antisémitisme pour se protéger de la fureur populaire (comme le souligne Lazare) et leurs successeurs utilisent aujourd’hui différemment – mais tout aussi malhonnêtement – le spectre de ce même antisémitisme pour se protéger d’une vague de colère anticapitaliste du XXIe siècle.

7. Alors, en conclusion, de quoi s’agit-il ?

Plusieurs facteurs peuvent expliquer que la pensée écologique radicale soit parfois associée aux nazis – à tort, comme nous l’avons établi.

L’une d’entre elles est la crainte réelle que le langage organique puisse à nouveau être coopté et détourné dans une direction sinistre par des fascistes des temps modernes. Le traumatisme infligé par le nazisme reste si intense, plus de 70 ans après, que les termes (mal) utilisés par ses adeptes dans le passé sont encore capables de déclencher des réactions de peur.

Une autre cause possible du malentendu peut résider dans le fait que notre civilisation et notre culture se sont éloignées de plus en plus d’une compréhension de l’homme basée sur la nature, et que l’approche biologique se trouve ainsi confrontée à un mur concret de non-compréhension, qui laisse la voie libre à toutes sortes de mauvaises interprétations des intentions qui sous-tendent son approche.

Le plus probable est que ces deux facteurs ont joué un rôle et qu’ils se sont combinés pour renforcer un élément encore plus important – une attaque délibérée contre l’idéologie organique.

Le but de cette démarche serait, comme les accusations d’antisémitisme décrites par Finn, de “discréditer toute critique radicale du capitalisme ou de l’impérialisme dans le monde moderne”.

Comme dans le cas de l’antisémitisme, l’accusation d'”écofascisme” est présentée comme une noble tentative d’empêcher l’émergence d’une nouvelle forme de fascisme, ce qui permet d’obtenir le soutien et la gratitude des personnes qui craignent ce résultat.

Mais, en réalité, il s’agit d’un stratagème cynique destiné à attaquer la pensée anticapitaliste derrière l’écran de fumée sûr de l’antifascisme.

Il y a juste assez de preuves (des similitudes superficielles de la rhétorique dont nous avons discuté, des divers extrémistes de droite qui tentent de coopter la pensée deep green, etc.) pour rendre l’affirmation plausible pour ceux qui ne font pas de recherches supplémentaires par eux-mêmes, mais l’accusation est fondamentalement fallacieuse.

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Pour comprendre ce qui se passe, il faut remonter au XIXe siècle, à l’époque où la Pensée organique II se développait. C’était, comme nous l’avons dit, une réaction contre la Machine sous toutes ses formes, contre le système capitaliste industriel qui détruisait les communautés, les campagnes, tout ce qui était valable, authentique, beau et éternel dans notre monde.

Pour contrer cette opposition, la Machine (par laquelle nous entendons une entité collective théorique constituée de tous les individus qui ont travaillé pour elle et avec elle) s’est déguisée en autre chose que le phénomène d’exploitation, de destruction, d’inhumanité et de monstruosité qu’elle était en réalité.

Partout, elle se dépeint comme représentant le “progrès”, la “prospérité”, l'”avancée scientifique”, etc. et ses ennemis comme des barbares rétrogrades, des réactionnaires arriérés et des luddites stupides.

Dans l’Europe germanophone, cette machine a également réussi à récupérer une partie du mouvement qui avait émergé pour s’y opposer en volant des parties de son langage – de la même manière que le capitalisme a récupéré la musique punk, par exemple, ou que le New Labour de Tony Blair a utilisé le langage de la social-démocratie pour obtenir le pouvoir pour une clique néolibérale.

La promotion de la Gemeinschaft communautaire, de l’organisation sociale et de l’entraide contre le capitalisme industriel mécaniste a été transformée en un racisme et un nationalisme étroits qui ont détourné les critiques du capitalisme vers les Juifs et les puissances étrangères, laissant le système capitaliste industriel allemand très intact.

Le fascisme n’était, comme nous l’avons vu, qu’une réincarnation de la Machine elle-même.

Ce n’était pas la seule incarnation, cependant – et après avoir vaincu le fascisme, et utilisé une partie de son savoir-faire et de son personnel dans sa lutte contre le communisme soviétique, la branche américaine et britannique de la Machine a tenu à se présenter comme le grand défenseur mondial de la démocratie.

Mais par “défendre la démocratie”, ils entendent en réalité repousser toutes les menaces à la poursuite de leur complexe militaro-industriel, économique et carcéral, la Machine capitaliste.

Dans le langage des néolibéraux “centristes” contemporains, toute position politique qui remet en cause leur version du capitalisme est nécessairement “extrémiste”. Ils aiment à prétendre que l’extrême droite et l’extrême gauche sont essentiellement la même chose ; une alliance “rouge-brun” contre les valeurs démocratiques néolibérales consacrées et protégées par les États-Unis et leurs alliés.

C’est le contexte dans lequel l’anticapitalisme est assimilé à l’antisémitisme et dans lequel la pensée organique vert profond est assimilée au fascisme.

La Machine à laquelle nous sommes confrontés aujourd’hui est incontestablement la même que celle qui a provoqué la révolte philosophique anti-industrielle et anti-capitaliste du 19ème siècle. Il y a là une continuité ininterrompue.

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Et cette Machine, qui, sous sa forme fasciste, a coopté la terminologie biologique à ses propres fins, est maintenant heureuse d’utiliser cette cooptation, cette mauvaise utilisation du langage organique par les fascistes, pour essayer de discréditer la philosophie organique originale, non fasciste, par une fausse association avec le fascisme.

Elle vise à disqualifier la pensée organique/holistique, une philosophie qui menace la domination de son système capitaliste industriel.

Pour ce faire, elle utilisera les moyens qui lui paraîtront les plus efficaces – et la calomnie “nazie” est l’arme parfaite.

L’immensité de cette tromperie idéologique devient encore plus claire si nous examinons à nouveau ce qui nous déplaît particulièrement aujourd’hui dans le nazisme. Ce sont, comme nous l’avons dit, l’extermination de masse, l’antisémitisme et le racisme, le militarisme belliciste, l’État policier, le nationalisme aveugle, l’eugénisme, la propagande et l’hystérie de masse.

Lequel de ces éléments est présent dans la pensée organique vert profond ? Aucun d’entre eux ! Comment pouvez-vous accuser un courant idéologique d’être “fasciste” ou “éco-fasciste” s’il ne contient pas les éléments idéologiques typiques du fascisme ?

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Examinons maintenant le système capitaliste industriel. Comment se compare-t-il au modèle nazi ? Un militarisme belliciste ? Oui. État policier ? Oui. Propagande et hystérie de masse ? Oui. Nationalisme aveugle ? Oui, malgré son caractère mondial, le capitalisme est toujours heureux de l’utiliser pour rallier le public. L’eugénisme ? Oui, bien qu’on ne l’appelle plus ainsi de nos jours. L’inhumanité froide ? Oui. Le racisme ? Tout à fait.

L’antisémitisme ? Bien que l’antisémitisme existe dans notre société, il n’est pas systématiquement encouragé par l’idéologie du capitalisme industriel. Il est cependant systématiquement détourné, comme nous l’avons vu – transformé en une arme idéologique à utiliser non pas principalement contre les antisémites, mais contre les anticapitalistes. Les victimes de cette militarisation à bon marché du terme seront ceux qui trouveront qu’il les expose horriblement à la réalité.

Le capitalisme contemporain n’a pas encore atteint le niveau de dépravation atteint par le régime hitlérien et ses camps d’extermination de masse, mais c’est à peu près la seule façon dont il peut revendiquer une quelconque supériorité morale sur le nazisme.

À d’autres égards, il partage la pensée de la Machine nazie, ce qui n’est pas surprenant car il s’agit essentiellement de la même Machine. Elle est obsédée par l’industrialisation, la production, la technologie et la guerre. Elle considère les gens comme des ressources humaines, des unités de travail, des consommateurs, de la chair à canon et des dommages collatéraux. Sa pensée est utilitaire, fragmentaire, non holistique. Elle est froide, mécanique et exploitante. Sa propre logique interne d’intérêt personnel l’aveugle à toute moralité, éthique, humanité.

Et ce système ose accuser ses opposants d’être “fascistes” ?

8. Pourquoi cette question nous tient-elle tant à cœur ?

Pourquoi ouvrir cette boîte de Pandore sur les supposées influences fascistes sur l’idéologie biologique et naturelle ? Pourquoi pensons-nous que cette question est si importante que nous ressentons le besoin de l’aborder dans cet article ?

Il y a deux aspects en jeu ici. Le premier est que nous sommes préoccupés par les effets négatifs que les calomnies “nazies”, et la peur de ces calomnies, ont eu sur la pensée radicale.

Il existe, là encore, de forts parallèles avec les dénigrements “antisémites” dont font l’objet certaines formes d’anticapitalisme.

L’assimilation de l’expression “un pour cent” à l’antisémitisme vise vraisemblablement à dissuader les gens d’attirer l’attention sur l’existence d’une classe dirigeante capitaliste bien réelle.

Au lieu de cela, les anticapitalistes sont censés aborder la question d’une manière alambiquée et théorique qui peut avoir du sens pour les universitaires postmodernes, mais qui ne suscitera jamais une vague de soutien public comme peut le faire l’approche directe.

De même, dans les cercles écologistes radicaux, il devient impossible de parler de nature, de retour à la terre ou de communautés biologiques sans que quelqu’un comme Staudenmaier ne surgisse pour identifier une ressemblance “effrayante” avec la pensée nazie.

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Cela arrache tout simplement le cœur de l’idéologie, détruisant sa cohérence fondamentale. Comment pouvons-nous critiquer la société capitaliste moderne, et proposer une alternative radicale, si le langage dans lequel nous le faisons a été interdit par une sorte de police de la pensée idéologique ?

Au lieu de s’attaquer au cœur du problème du capitalisme industriel, et de tout ce qui l’accompagne, les gens sont contraints de se replier sur des positions qui ne remettent pas fondamentalement en cause le capitalisme.

Soit ils finissent par accepter ses affirmations selon lesquelles nous avons “besoin” de croissance économique, de progrès technologique sans fin, etc., soit ils adoptent des approches nihilistes superficielles qui condamnent le capitalisme sans être capables de proposer une authentique alternative.

Le deuxième aspect du problème concerne le vide idéologique laissé par l’abandon de la pensée anticapitaliste organique par les gauchistes effrayés par les campagnes de dénigrement.

Ce n’est pas parce que ces idées ne sont pas exprimées dans certains cercles qu’elles n’existent pas ou qu’elles seront magiquement empêchées de prendre forme dans l’esprit des gens.

Imaginez un jeune qui se sent esthétiquement révolté par la société capitaliste dans laquelle il a été élevé – par son matérialisme, la destruction de l’environnement, la fragmentation et la superficialité de la consommation.

En contraste avec tout cela, cette jeune personne imagine un monde différent, un monde où les gens vivent plus simplement et sainement, dans de petites communautés imprégnées de valeurs saines, en ressentant un lien fort avec la terre et les autres créatures qui y vivent.

Cette personne cherche d’autres personnes qui disent la même chose, un mouvement qui exprime ces idéaux et cherche à les réaliser.

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L’idéologie qu’elle recherche est le radicalisme organique, l’anarchie verte, mais peut-être, grâce aux efforts de la police de la pensée idéologique, cette idéologie n’est plus visible.

Imaginez toutefois qu’il existe un groupe qui exprime certaines de ces idées d’une manière légèrement différente. Ces gens-là parlent de retour à la terre, de construction de petites communautés saines et de respect de la nature. Le seul problème est qu’ils parlent aussi beaucoup de parenté et d’identité ethnique, ce dont notre jeune personne n’est pas tout à fait sûre, mais qu’elle considère comme un détail avec lequel elle peut apprendre à vivre.

Plus tard, la nouvelle recrue découvre que ce mouvement a été dénoncé comme étant d’extrême droite et violemment critiqué. Mais comme les critiques proviennent d’un mouvement de gauche qui semble rejeter tous les idéaux de la jeune personne, elles tombent dans l’oreille d’un sourd. “Si ces idées sont d’extrême droite”, se dit la jeune personne, “alors je dois naturellement appartenir à l’extrême droite”.

C’est à peu près le même processus qui a conduit Lazare, un Juif, à exprimer des idées antisémites parce qu’il avait avalé le mensonge assimilant capitalisme et judéité, et le processus que Wertheimer décrit comme tordant l’esprit du jeune idéaliste nazi.

Peut-être qu’en temps voulu, notre jeune personne verra, comme Lazare, la vacuité et l’inhumanité de la rhétorique fasciste et s’en détournera pour reconstruire sa propre philosophie personnelle sur une base plus saine, mais c’est loin d’être sûr.

Le mal aura déjà été fait par la façon dont la gauche a tourné le dos à une critique profonde du capitalisme avec une vision puissante d’une société alternative.

C’est en fait ce qui s’est passé il y a cent ans, lorsqu’une grande partie de la gauche, en particulier dans l’Europe germanophone, a abandonné un anticapitalisme holistique fondé sur la nature au profit d’un marxisme orienté vers l’industrie. 81

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Le socialisme marxiste n’a pas réussi à s’opposer à l’industrialisme

Juan J. Linz, dans “Some Notes Toward a Comparative Study of Fascism in Sociological Historical Perspective”, explique que “le manque de compréhension de la théorie marxiste traditionnelle et surtout de la social-démocratie d’Europe centrale pour le sort des couches paysannes et préindustrielles”82 a laissé la voie libre au recrutement nazi. “Une jeunesse romantique protestant contre la société bourgeoise a été capturée par les fascistes”,83 ajoute-t-il.

Landauer était très conscient de ce problème. Berman et Luke expliquent qu’il voyait la nécessité pour la société de se libérer des “faux concepts mécaniques de la science qui appauvrissent la compréhension humaine”84 mais qu’il comprenait que le marxisme était lui-même piégé dans cet état d’esprit, avec sa croyance “scientifique” dans la transition supposée inévitable du capitalisme vers le socialisme.

Cela signifiait que les marxistes orthodoxes devaient applaudir la croissance capitaliste et le progrès capitaliste. “À la lumière de la critique de Landauer, le socialisme scientifique du XIXe siècle cesse d’apparaître comme une critique radicale du statu quo. Au contraire, derrière ses prétentions révolutionnaires, il soutient le développement des structures capitalistes”. 85

En ne reprenant pas la lutte romantique contre le capitalisme industriel, en s’appuyant sur la riche philosophie organique et holistique qui se développait dans les pays germanophones, les marxistes ont permis à ce puissant courant anticapitaliste de se jeter dans les eaux stagnantes du fascisme.

Il est maintenant temps de développer la Pensée organique III, une version du XXIe siècle de l’idéologie qui est non seulement anti-industrielle et anti-capitaliste, mais aussi spécifiquement anti-fasciste.

Berman et Luke disent : “Le virage à droite de la pensée völkisch n’est finalement pas révélateur de la qualité de cette pensée, mais plutôt des contraintes auto-imposées de la gauche marxiste traditionnelle, qui n’a pas su s’approprier le potentiel gauchiste du mouvement völkisch.86

La gauche marxiste de ce lieu et de cette période était devenue stérile et dogmatique et n’a pas voulu faire appel à ceux qui voulaient remettre fondamentalement en question les hypothèses et les infrastructures de la société capitaliste, qui étaient prêts à se lancer dans une révolte totale contre la Gesellschaft de l’État et des entreprises.

Comme le note Sternhell : “Avec leur soif d’action pour l’action et de lutte pour la lutte, les fascistes apparaissaient comme les seules organisations politiques authentiquement révolutionnaires, les seuls mouvements inconditionnellement opposés à l’ordre établi, les seuls dont la crédibilité révolutionnaire – contrairement à celle des partis de gauche, y compris les partis communistes – n’avait pas été entamée par le compromis”. 87

Il est ironique que les gauchistes contemporains soient exhortés à se tenir à l’écart de l’anticapitalisme émotionnel et de l’environnementalisme organique basé sur la nature, en raison d’une prétendue tare due aux associations nazies, alors que c’est en fait la dérive de la génération de gauche précédente dans cette même direction – son abandon des idéaux anticapitalistes authentiques – qui a permis aux nazis de coopter et de déformer ces idéaux à leurs propres fins malhonnêtes.

9. Que voudrions-nous voir se produire ensuite ?

Antidote zine, le site web américain qui a repris notre article Envisioning a Post-Western World, a déclaré qu'”il incombe aux personnes se trouvant sur un terrain culturel contesté de le contester”. 88

C’est ce que nous aimerions voir se produire ensuite. Nous aimerions voir le terrain de l’idéologie organique contesté dans le but de lever la malédiction nazie qui a étouffé sa voix et lui redonner son rôle légitime de cœur idéologique de la pensée anarchiste et anticapitaliste.

Nous avons écrit ci-dessus que la philosophie holistique qui a émergé au 19ème et au début du 20ème siècle était une sorte de Pensée Organique II, parce qu’elle avait ajouté un élément spécifiquement anti-industrielle et anticapitaliste sur l’héritage holistique plus ancien.

Il est maintenant temps de développer la Pensée organique III, une version du XXIe siècle de l’idéologie qui est non seulement anti-industrielle et anti-capitaliste, mais aussi spécifiquement anti-fasciste.

Les raisons de ce choix devraient maintenant être évidentes. En se définissant et en s’expliquant clairement comme antifasciste, la Pensée organique III peut non seulement se débarrasser des calomnies avec lesquelles la Pensée organique II a été attaquée, mais aussi faire la lumière sur le véritable successeur de l’idéologie fasciste – la Machine autoritaire, militariste, raciste, industrielle, obsédée par la science et capitaliste.

Gulf War 1991  Victory Celebration  USA

Elle condamnera le fascisme non pas pour être la “religion de la nature” qu’il n’a jamais vraiment été, mais pour être l’épitomé de l’industrialisme, le système militaro-technocratique morteloussé à ses limites brutales.

La Pensée organique III comprendra la prise de conscience du fait que la Machine a essayé de détruire l’organicisme anticapitaliste en tachant son langage avec le pinceau large d’un fascisme délibérément mal interprété.

Elle relancera la guerre idéologique contre le capitalisme industriel entamée par la Pensée organique II, mais se prémunira contre une nouvelle OPA de l’extrême droite en plaçant en son cœur les valeurs de gauche d’humanité, de solidarité, de compassion et d’universalité.

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Elle se déclarera un ennemi implacable du fascisme et présentera une vision politique organique cohérente et autonome qui ne pourrait jamais être acceptable pour les fascistes – une vision alimentée par les idées des anarchistes, des socialistes non nationalistes et des Juifs, de Morris à Goldstein, de Monakow à Kropotkin, de Tönnies à Wertheimer, de Landauer à Roszak.

Elle sera inébranlable dans son rejet complet de ce système capitaliste-fasciste à tous égards – son économie, ses infrastructures et son idéologie.

Elle condamnera toutes les nouvelles formes que prend le fascisme – le sinistre technototalitarisme du génie génétique, des nanotechnologies, de la surveillance, de la guerre des drones et du transhumanisme.

Elle remettra en cause l’obsession productiviste de la quantité au détriment de la qualité, du profit, de la croissance économique, du “progrès”, et appellera à une société fondée sur l’éthique, les valeurs, l’humanité et la solidarité.

Elle privilégiera l’authentique sur l’artificiel, le beau sur le laid, le vivant sur le stérile.

Elle comprendra la distinction entre Gemeinschaft et Gesellschaft, telle qu’établie par Tönnies, et luttera pour la renaissance de la première.

Elle ne tiendra pas compte des exigences de l’autorité, avec ses États, ses monnaies, ses lois, ses forces de police, ses armées, ses tribunaux, ses prisons et ses camps de concentration.

Elle rejettera l’esprit mercantile et cherchera à construire une société fondée sur l’échange, l’entraide et l’intérêt commun, où les aliments sont cultivés et les objets produits sur la base d’un besoin collectif plutôt que pour un gain privé.

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Elle refusera la fausse construction de la propriété foncière, reconnaissant la terre comme quelque chose à laquelle nous appartenons, plutôt que comme quelque chose qui pourrait jamais nous appartenir.

Elle dépassera la séparation toxique du corps et de l’esprit établie par la société contemporaine et embrassera la réalité holistique de notre être.

De même, elle embrassera l’unité holistique de l’humanité et insistera sur le fait qu’au sein de cette unité, toutes les frontières sont fluides, tous les particularismes imprégnés de l’essence humaine universelle.

Elle condamnera l’arrogance de la civilisation occidentale qui impose ses structures et son idéologie au reste du monde et trouvera partout inspiration et alliance avec les peuples qui cherchent à protéger ou à restaurer des modes de vie et de pensée non occidentaux et non capitalistes.

Elle reconnaîtra que l’humanité n’est rien d’autre qu’une partie de la nature et que notre avenir ne peut être sain que dans le contexte d’un monde naturel sain, exempt de pillage, de pollution et de destruction.

Elle comprendra que le bien-être humain dépend de l’action des individus dans un ensemble plus vaste, un organisme social.

Elle saura que ces individus ne peuvent être libres qu’au sein d’une communauté libre et que cette communauté libre doit toujours être composée d’individus libres.

Elle brisera tous les mensonges et les tabous pour faire passer le message que la destruction planétaire provoquée par le système capitaliste industriel doit être arrêtée.

Elle incitera les gens à rêver, à espérer, à s’exprimer, à discuter, à écrire, à se mobiliser et à transformer leurs idées en actions.

Un jour, elle fera tomber la Machine industrielle, capitaliste, fasciste – et elle dégagera la voie pour que la vie naturelle s’épanouisse à nouveau.

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Pour un monde sans système/pour une société sans industrie

Lien vers l’article d’origine

1. Ernst Lehmann, Biologischer Wille. Wege und Ziele biologischer Arbeit im neuen Reich (Munich : J.F.Lehmann, 1934), cit. Anne Harrington, Reenchanted Science : Holism in German Culture from Wilhelm II to Hitler (Princeton, NJ : Princeton University Press, 1999), p. 177.

2. https://www.encounterbooks.com/features/rupertdarwall-totalitarian-roots-environmentalism/

3. https://theanarchistlibrary.org/library/janet-biehland-peter-staudenmaier-ecofascism-lessons-from-thegerman-experience

4. www.akpress.org/against-the-fascist-creep.html

5. www.redpepper.org.uk/darker-shades-of-green/

6. Anna Bramwell, Ecology in the Twentieth Century : A History (New Haven, Yale University Press, 1989), p. 272-73.

7. Anna Bramwell, The Fading of the Greens : The Decline of Environmental Politics in the West (New Haven & London : Yale University Press, 1994), p. 43.

8. https://antidotezine.com/2017/08/19/envisioning-apost-western-world/

9. Vivianne Crowley, Wicca : The Old Religion in the New Millennium (Londres : Thorsons, 1996), p. 32.

10. William Morris, ‘How I Became A Socialist’, News From Nowhere and Selected Writings and Designs, ed. by Asa Briggs (Londres : Penguin, 1984), p. 36.

11. Georges Bernanos, ” La France contre les robots “, cit. Aux origines de la décroissance – Cinquante penseurs, coordonné par Cédric Biagini, David Murray, Pierre Thiesset, Paris, L’Échappée, 2017, p. 28.

12. Harrington, pp. xvii-xviii.

13. Harrington, p. 20.

14. Nina Lyon, Uprooted: On the Trail of the Green Man, Londres, Faber & Faber, 2016, p. 192.

15. F. Sander, ‘Deutsche Psychologie und nationalsozialistische Weltanschauung’. Nazionalsozialistisches Bildungswesen. 2. pp. 641-643, cit. Harrington, p. 178.

16. Lehmann, cit. Harrington, p. 177.

17. Harrington, p. 188.

18. cit. Harrington, p. 175.

19. Zeev Sternhell, “Fascist Ideology”, Fascism : A Reader’s Guide. Analyses, Interpretations,

Bibliography, ed. Walter Laqueur (Aldershot : Scolar Press, 1991), p. 356.

20. Rudolf Rocker, Anarcho-Syndicalism (Londres : Pluto Press, 1989), p. 75.

21. Harrington, p. 182.

22. Sternhell, p. 324-35.

23. Harrington, p. 181.

24. Alfred Böttcher, 1935, “Die Lösung der Judenfrage’, Ziel und Weg 5 : 226. cit Harrington, pp. xx-xxi.

25. Johann Chapoutot, La révolution culturelle nazie, Paris, Gallimard, 2017, p 83.

26. Primo Levi, Survival in Auschwitz : The Nazi Assault on Humanity, trad. Stuart Woolf (New York : Simon & Schuster, 1996), p. 105.

27. Chapoutot, p. 79.

28. Chapoutot, p. 85.

29. Harrington, p. 189.

30. Gerhard Portele, “Gestalttheorie und Wissenschaftstheorie. Pläyoder für eine alternative Wissenschaft’, Gestalt Theory I (I), pp. 26-38, cit. Harrington, p. 211.

31. Harrington, p. 195.

32. Mitteilungen zur weltanschaulichen Lage du NSDAP, 27 novembre 1936, cit. Harrington, p. 196.

33. Harrington, p. 197-98.

34. Lyon, p. 192.

35. Harrington, p. xxi.

36. Harrington, p. 62.

37. Harrington, p. 190.

38. Harrington , p. 92.

39. Harrington, p. 98.

40. Harrington, p. 172.

41. Ruth Nanda Anshen, ” Open letter to Dr Kurt Goldstein in commemoration of his eightieth birthday “, 6 novembre 1958, Goldstein Papers, cit. Harrington, p. 172.

42. Max Wertheimer, ” On truth “, Social Research 1 (2), cit. Harrington, pp. 133-34.

43. Max Wertheimer, ” Some problems in the theory of ethics “, Social Research 2 (3), cit. Harrington, p. 134. 44. Michael Löwy, Juifs hétérodoxes : Romantisme, messianisme, utopie, Paris, Éditions de l’éclat, 2010, p. 23.

44. Löwy, Juifs hétérodoxes, pp. 33-34.

45. Michael Löwy, Rédemption et utopie : le judaïsme libertaire en Europe centrale (Paris : Editions du Sandre, 2009), p. 74.

46. Löwy, Juifs hétérodoxes, p. 82.

47. Löwy, Juifs hétérodoxes, p. 82-83.

48. Löwy, Juifs hétérodoxes, p. 36

49. Löwy, Juifs hétérodoxes, p. 121.

50. Ferdinand Tönnies, Community and Society : Gemeinschaft und Gesellschaft, trad. Charles P. Loomis (New York : Dover Publications, 2002), p. 34.

51. Tönnies, p. 35.

52. Tönnies, p. 36.

53. Tönnies, p. 121.

54. Tönnies, p. 89.

55. Tönnies, p. 83.

56. Tönnies, p. 202.

57. Tönnies, pp. 227-28.

58. Tönnies, p. 216.

59. Tönnies, p. 225.

60. Tönnies, p. 208.

61. Tönnies, pp. 230-31.

62. Theodore Roszak, Where the Wasteland Ends :

Politics and Transcendence in Postindustrial Society (New York : Doubleday, 1972), p. 424.

63. Roszak, pp. 95-96.

64. Russell Berman & Tim Luke, ‘Introduction’, Gustav Landauer, For Socialism, trans. par David J Parent (St Louis : Telos Press, 1978), p. 8.

65. Gustav Landauer, Revolution and Other Writings : A Political Reader, ed. et trans. par Gabriel Kuhn (Oakland : PM Press, 2010), p. 22.

66. Gustav Landauer, Skepsis und Mystik : Versuche im Anschluss an Mauthners Sprachkritik (Cologne : 2d ed, 1923), p. 7, cit. Charles B Maurer, Call to Revolution. The Mystical Anarchism of Gustav Landauer (Detroit : Wayne State University Press, 1971), p. 69.

67. Peter Kropotkin, Ethics : Origin and Development (Dorchester : Prism Press, n/d), p.45.

68. Kropotkin, pp. 16-17.

69. Kropotkin, pp. 30-31.

70. Kropotkin, p. 18.

71. Kropotkin, p. 87.

72. www.doorbraak.eu/gebladerte/30046v01.htm

73. http://www.aish.com/jw/me/48898397.html

74. https://www.jacobinmag.com/2018/04/jeremycorbyn-antisemitism-labour-party

75. Bernard Lazare, ” Juifs et Israélites “, La Question Juive, Paris, Éditions Allia, 2012, p. 26.

76. Wertheimer, ” Some problems in the theory of ethics “, cit. Harrington, p. 135.

77. Lazare, ” La Solidarité Juive “, p. 41.

78. Lazare, ” Juifs et Antisémites”, p. 58.

79. Lazare, ” Antisémitisme et révolution “, pp. 84-86.

80. Lazare, ” Conception Sociale du Judaïsme “, p. 187.

81. Voir Paul Cudenec, The Stifled Soul of Humankind (Sussex : Winter Oak, 2014).

82. Juan J. Linz, “Some Notes Toward a Comparative Study of Fascism in Sociological Historical Perspective”, Fascism : A Reader’s Guide, p. 17.

83. Linz, p. 19.

84. Berman & Luke, p. 7.

85. Berman & Luke, p. 11.

86. Berman & Luke, p. 8.

87. Sternhell, p. 343.

88. https://antidotezine.com/2017/09/19/envisioning-apost-western-world/